Nous avons mis à profit la période estivale pour interviewer notre confrère Marie-Christine Llorca pour échanger sur l’avenir de la formation. N’hésitez pas à réagir suite à la lecture de ces quelques pages !
Interview de Christelle Chappaz, MELIA Conseil – Septembre 2020
Christelle Chappaz : Bonjour Marie-Christine, merci d’avoir accepté cette interview sur le futur de la formation !
Marie-Christine Llorca : Avec plaisir ! La formation est soumise à de nombreuses contraintes, réglementaire, bureaucratiques, … On nous demande d’être innovants, plus digitaux,… La formation doit davantage répondre à un système d’injonctions que se réinventer. Il est essentiel d’ouvrir des espaces pour lâcher les imaginaires en matière de formation. Je suis ravie de contribuer à cette démarche au travers de cette interview.
Christelle : Nous avons été confinés en France du 17 mars au 11 mai 2020. Depuis mai, nous restons encore « en suspens », avec des rassemblements encore limités, des protocoles sanitaires qui cadrent nos pratiques, des organisations qui ont annulé de très nombreux présentiels jusqu’à septembre voire la fin de l’année 2020, …
J’ai trois questions pour toi pour nourrir notre réflexion sur les manières d’apprendre et de travailler après crise.
Avant le confinement, on organisait une multitude de réunions où l’on devait se déplacer. On a démontré lors du confinement que beaucoup de déplacements n’étaient pas nécessaires. Je ne veux plus de réunion, juste pour se parler. C’est coûteux en temps et en énergie. Les temps courts pour décider de façon organisée gagnent à se faire à distance ; en revanche, les temps pour inventer des projets, pour avoir des pensées créatives doivent être maintenus en présence . Je n’ai plus envie que la modalité « réunion physique » soit la seule proposée, mais que plusieurs modalités cohabitent et soient utilisées avec discernement
Pendant le confinement, on a eu des invitations à nourrir des plateformes digitales, initiées par exemple par des OPCO (opérateurs de compétences), afin de pouvoir proposer aux actifs des dispositifs en ligne. Cela a créé des risques de dépossession des prestataires de formation, ces derniers étant conduits à signer des clauses de cession de droits dans l’urgence. De plus, la précipitation n’a pas toujours permis de proposer une ingénierie pertinente. Trop de e-learning transmissifs ont pu être déployés sous couvert de modernité. Cela a pu discréditer la valeur ajoutée des organismes de formation. Notre structure AGO a été vigilante à proposer de réelles situations d’apprentissage numériques, ce qui a pu entrainer une « surchauffe » chez nos formateurs et concepteurs de formation. Nous les avons accompagnés fort et vite à la bascule numérique. Il faudra désormais poursuivre en souplesse ce changement et quitter la « violence » que la bascule a pu créer. Et puis, les solutions gratuites pendant le confinement sont souvent redevenues payantes. Cette fausse générosité était en fait une démarche commerciale, avec la tentation de rendre les individus et organisations dépendants… Je ne veux plus de ces pratiques opportunistes. Il est clé de s’entraider pour rester vigilants comme on le fait par exemple au sein du collectif FFFOD, le forum des acteurs de la formation digitale.
Le confinement, c’était aussi la diffusion des problématiques de travail dans tous les interstices de la vie privée. J’ai ressenti aussi une plus grande solitude parce que l’informel des discussions collectives de l’équipe de travail n’était pas en appui de mon action. C’était plus difficile de manager. Je n’ai plus envie de travailler sans pouvoir percevoir l’informel, le climat, même si nous avons pu nous organiser avec des rendez-vous virtuels…
J’ai aimé me former à distance sur des thèmes comme la ludo-pédagogie avec les LOLAs de Thiagi ou rencontrer de manière virtuelle des personnes en simultané dans le monde entier alors que le séminaire qui nous a réunis était d’habitude organisé en présentiel à Paris. J’ai aimé former des personnes localisées très loin de chez moi. Je garde avec joie ces contacts lointains et simultanés, de la formation aux apéro Skype.
Continuons à être bienveillants, à accepter de ne pas dompter la technique. On a expérimenté ensemble, on a vécu des bugs, des déconnexions ensemble,… et c’était « ok » ! Accordons-nous le droit au bidouillage pédagogique. Continuons à bricoler, expérimenter, nous débrouiller, et continuons à oser la liberté de ton et l’abandon des égos dans les contacts à distance. Ce qui a compté, c‘était l’intention pédagogique. Si on est transparent sur ses intentions, sur les choix pédagogiques, alors on peut compter sur le groupe pour compenser éventuellement des difficultés techniques. Le concepteur, l’intervenant ne doivent pas lâcher sur l’expertise pédagogique. Mais ils peuvent (doivent ?) lâcher sur le processus, sur la maîtrise des outils et donner du pouvoir aux groupes, les rendre acteurs du dispositif. Cette pédagogie plus partagée et cette bienveillance active me semblent intéressantes à garder.
Gardons aussi notre créativité ! Nous avons su réinventer nos pratiques pour nous adapter à la crise sanitaire. Par exemple, le théâtre chuchoté à l’oreille de Wajdi Mouawad au Théâtre de la Colline a été ré-imaginé au téléphone ! Un théâtre a aussi imaginer dévisser ses 300 sièges pour créer une Agora, plus propice pour respecter les règles de distanciation sociale. Les cartes de restaurant ont été remplacées par des QR-Codes collés sur la table du restaurant. C’est plus simple, plus écologique,… Toutes ces nouvelles modalités pourraient inspirer le renouveau des pratiques en formation.
S’autoriser, expérimenter, rester humble et bienveillant, mais aussi faire avec ce que l’on a, avec ingéniosité ! J’aime cette simplicité élégante, sobre et ingénieuse. On a su faire avec les moyens, les espaces, que l’on avait. On a su engager par ce que c’était utile, intéressant et non pas parce que c’était « fun », gamifié. Gardons cela.
La formation dont je rêve sera sobre, élégante et ingénieuse. Elle sera libre et bienveillante. On a déjà évoqué ces 2 premiers axes. On n’a pas encore creusé le 3ème axe. Pour moi, la formation demain sera aussi multimodale, en termes de temps et d’espace.
Pendant le confinement, j’ai ressenti le besoin de varier les espaces et les temps de travail. J’ai envie de continuer à me nourrir de cette variété pour moi-même et dans le cadre de ma pratique de consultante et formatrice.
Je remplacerais volontiers le mot « télétravail » par un nouveau mot qui donnerait à imaginer un travail respectueux de la multimodalité des temps et des espaces. Ce mot renvoie à télé, à cette station fixe, de 9h à 18h, derrière un écran pour rendre une tâche. On pourrait parler de « travail nomade » par exemple
J’aimerais garder des manières de travailler plus à l’écoute de mes besoins, de ceux de mes clients et du projet. J’aimerais m’autoriser davantage à occuper les espaces et les temps utiles.
Pour résoudre une tâche, par exemple, inventer de nouvelles modalités pour un dispositif de formation, je me demande quel est l’espace le plus propice. Est-ce le jardin où je peux déambuler ? est-ce un espace de formation ? mon canapé ? un café ? un bureau partagé avec des collègues ?
Concernant le temps, j’aimerais là aussi m’autoriser plus de souplesse. En général, on se fixe une plage de temps pour produire. Par exemple, 2 heures pour rédiger un article, agencer un dispositif,…. J’aimerais oser la déambulation, le flottement mental non focalisé… Car on le sait bien, c’est quand on fait autre chose, qu’on laisse son cerveau vagabonder, que notre cerveau, sans qu’on en ait conscience, trie, recombine, fait des analogies,… Comment s’autoriser ces temps plus flous dans le travail ? Et dans le même temps, comment se protéger et éviter l’intrusion du professionnel dans la sphère personnelle ? Inversement, le confinement a pu montrer aussi que la sphère personnelle pouvait envahir la sphère professionnelle, avec, par exemple, l’obligation d’organiser la classe à la maison ou des proches hospitalisés.
Creusons un peu la question des espaces. J’ai envie de la travailler pour aller plus loin dans le cadre des dispositifs d’apprentissage que je co-construis.
Je propose de réaliser l’inventaire des espaces qui existent, de repérer leur « potentiel d’apprenance » pour s’en saisir en fonction des projets et des besoins. Par exemple, il sera peut-être utile de s’installer dans un jardin pour organiser des débats en petits groupes…
Si les espaces sont vides ou modulaires, l’enjeu devient de les « fonctionnaliser », de façon flexible, comme on pose le décor d’une scène de théâtre sur un plateau vide.
La formation sera alors comme une danse chorégraphiée. Une chorégraphie, c’est très construit. Ce n’est pas de l’improvisation. Les conditions de l’apprentissage, pédagogiques, temporelles, spatiales, doivent être pensées et construites. Ensuite, on peut danser de manière souple et fluide dans ce cadre.
Si la technique (sciences de l’éducation, sciences cognitives,…) et le cadre sont présents, et si on s’autorise à libérer les égo, on peut jouer dans ce cadre. La formation demain, ce sera comme une valse des modalités.
Propos recueillis par Christelle CHAPPAZ, MELIA Conseil : https://www.linkedin.com/in/christellechappaz/
Quelques ressources pour aller plus loin :
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