La question des espaces se pose lorsque l’on évoque la question de l’apprentissage parce nous investissons d’autres façons d’apprendre : du numérique intégré, des pratiques diversifiées d’autoapprentissage et un rôle accru des temps et des lieux informels. Il s’agira pédagogiquement d’anticiper l’usage des lieux pour y accueillir des pédagogies actives et interactives, y intégrer intelligemment le numérique et créer ainsi un autre design spatio-temporel dans un espace devenu fluide. L’espace fonctionnera comme un « troisième enseignant », modalité de facilitation des scenarii pédagogiques.
ÉDITÉ PAR LA REVUE ÉDUCATION PERMANENTE – HORS SÉRIE 3 CABTP- 2019 – L’APPRENTISSAGE DANS LE BTP : DE L’EXPERTISE À L’INNOVATION
M.C LLORCA, pédagogue, docteur en Sciences de l’Éducation, dirige AGO, spécialiste de l’innovation pédagogique mc.llorca@ago-formation.fr et Pascal MICHÉ, ingénieur de formation, en charge de l’innovation pédagogique au sein de la DPFIP (Direction de la Formation et de l’Innovation Pédagogique 3 CABTP)
L’espace, ce troisième enseignant
Dès le XIXe siècle des pédagogues novateur comme Dewey (pédagogie du projet, M. Montessori (pédagogies de la découverte) ou C. Freinet (pédagogies actives) proposent un espace scolaire adapté à leur pédagogie qui invite au déplacement, aux collaborations et aux productions affichées. Quand on observe une photographie de classe Freinet on voit un espace dans lequel des ateliers se déroulent, des élèves en discussion parfois en petit cercle, est un enseignant qui circule dans la classe. L’italien psychologue Malaguzzi dans les années 40, qualifie l’espace de « troisième enseignant » (the third teacher) parce qu’il influence les modalités d’apprentissage et la réussite, après les parents et les enseignants (S.New, 2013). Les classes maternelles se sont saisies en actes de ce raisonnement, la pédagogie de l’adulte s’en empare plus tardivement, et de façon marginale.
Le questionnement resurgit en France, depuis une dizaine d’années, dans la lignée des travaux américains (Brown, M.; Long, P. 2006). avec un retour du paradigme socioconstructiviste qui traverse l’ensemble des secteurs de l’apprendre (de l’école, aux universités, en passant par la formation de l’adulte) et qui nous invite à mettre l’accent sur l’apprendre plutôt que sur l’enseigner. Pourquoi se pose-t-on aujourd’hui la question de l’espace lorsque l’on évoque la question de l’apprentissage ?
Nouvelles façons d’apprendre : auto-apprentissage et investissement des lieux informels
La question de l’espace d’apprentissage s’inscrit dans nos nouvelles façons d’apprendre : nous apprenons en intégrant de manière naturelle le numérique dans notre espace personnel d’apprentissage, nous nous inscrivons dans des réseaux de pairs valorisant les échanges, nous inspirant de tutoriel pour mieux comprendre, et nous relativisons la validité de l’apport de savoir venu d’experts pour privilégier les apports entre pairs. Nous apprenons dans des configurations différentes (seul, en groupe, en présence, à distance) et nous investissons les lieux informels plus propices à une autre façon de réfléchir (une cafétéria, les couloirs, les jardins publics, les espaces vastes) dans les lesquels nous nous installons nous-mêmes, en fonction de nos besoins d’apprentissage. La porosité des temps et des espaces d’apprentissage rend plus difficile de se cantonner aux seuls espaces et temps pensés pour la formation. Nous avons des pratiques nomades, renforcées par la portabilité des outils numériques.
Nouvelles façons de considérer l’apprenant : apprenance
Une autre conception de l’apprenant se développe progressivement, renforcée par l’intégration des technologies pour apprendre, (même si l’ancrage socio-constructiviste est ancien) qui le place au centre du dispositif ; le modèle de l’apprenance (Carré, 2005) se préoccupe des stratégies mises en place, en différents lieux et sous différentes modalités pour se développer. (Ne parle-t-on d’ailleurs pas de e-learning et non de e-teaching !) La notion d’auto-direction insiste sur l’importance qu’il y a à repérer, puis accompagner et soutenir la façon dont l’individu apprend, dont il se motive et aboutit à ses projets ; enfin « apprendre tout au long de la vie » nous invite à penser les apprentissages de façon formelle, informelle ou non formelle, et insiste sur la relativisation des dispositifs classiques pensés par le pédagogue pour le participant. « Le désir d’apprendre par soi-même et la capacité de diriger tout ou partie de ses propres apprentissages deviennent une composante essentielle de la compétence à vivre ». (Carré, 2010). Sur ce point la réforme fait un pas en avant en quittant la notion de formation[1] (moyen) pour celle de compétences (but contextualisé) et en voulant remplacer la feuille d’émargement par le « certificat de réalisation »[2] (indicateur de production dans un parcours apprenant).
Au niveau des méthodologie de formation, « l’apprendre à apprendre » quitte la seule sphère des difficultés d’apprentissage pour s’ouvrir plus largement à la méthodologie de l’apprendre : s’installe un travail sur la métacognition, par un accompagnement des processus d’apprentissage (comment on résout), et un repérage de son style d’apprentissage (quelles sont mes préférences), ou un apprentissage de l’attention et de l’amélioration de ses fonctions exécutives. Ces méthodologies s’appuient sur les travaux de Gardner autour des intelligences multiples, sur la médiation cognitive des apprentissages ou plus récemment, sur les apports des neurosciences (P.Toscani, 2012). Le plaisir et le jeu sont considérés comme des leviers d’apprentissage ; le jeu va s’installer dans les interactions pédagogiques (serious games, escape games. L’usage du jeu va renforcer les interactions et impliquer une occupation différente de l’espace par des déplacements, physiques ou virtuels. [3]
Nouvelle façon de former : facilitation et multimodalité
Nous assistons ainsi à une modification de l’équilibre des échanges. Nous passons d’un modèle transmissif – dans lequel le formateur en proximité avec le contenu, dans une posture d’expertise transmet l’information aux participants – à une posture de facilitation – dans laquelle le formateur va prendre en compte et accompagner les situations d’interactions entre les participants- et va, par la scénarisation, organiser des situations d’apprentissage qui vont permettre de s’approprier un contenu pour le transformer en compétence. Les outils majeurs de cette appropriation sont la mise au travail d’équipe pour résoudre des situations, l’appui à la réflexion sur la stratégie cognitive et un numérique intégré qui servira à « collaborer, créer, résoudre » (Unesco, 2012).
La multimodalité dans une ingénierie apprenante
Ainsi, pour épouser et impulser ces autres façons d’apprendre, s’installe la multimodalité, non pas comme la simple intégration du numérique dans le présentiel, mais comme la combinaison adaptée de différentes modalités dans une ingénierie apprenante. La multimodalité se fabrique pour nous, par une combinaison de 4 paramètres : des lieux d’apprentissage (centre ressources lieu extérieur tiers lieux nomade salle active d’apprentissage), des situations d’apprentissage (apprendre avec des personnes ressources, en groupe avec un formateur apprendre seul), des outils d’apprentissage (les réseaux sociaux, les plates-formes, smartphone, les ordinateurs, les tablettes, mais aussi la mise en mouvement du corps, l’usage du papier, des crayons, des productions que l’on pourra afficher) et de supports d’apprentissage (matériaux divers, sérious games, vidéos, les tableaux et les murs, livres et livrets de l’apprenant). La multimodalité est alors l’organisation dans un scénario d’apprentissage les différentes modalités qui vont concourir à l’atteinte de la compétence. La mission du formateur sera d’orchestrer cette valse des multimodalités.
Les qualités de l’apprentissage contemporain passent par les trois dimensions de l’activité (réfléchir et résoudre), l’interactivité (faire ensemble) et l’intégration bien pensée du numérique (le numérique comme outil). En résumé, les nouvelles pratiques d’auto-apprentissage et d’investissement de lieux informels, les nouvelles pédagogies centrées sur l’apprenant dans une conception holistique qui revalorise le socio-constructivisme, et l’intégration du numérique, nous invitent à penser des espaces flexibles et diversifiés.
Designer les espaces d’apprentissage
L’espace d’apprentissage est aujourd’hui reconfiguré. Nous allons parler d’espace d’apprentissage – et pas seulement d’espace- pour associer une réflexion sur l’espace physique, à l’intégration pédagogique des ressources d’apprentissage (en particulier du numérique) tout en prenant en compte une vision globale de l’apprentissage. Il ne s’agit alors pas seulement d’aménager mais de « reconceptualiser les espaces d’apprentissage » (Oblinger, 2006)
La nécessaire articulation de l’ingénierie et des espaces
L’organisation au sein de la salle de formation des meubles habituels qui la composent sont un indicateur des pédagogies que l’intervenant met en place. La configuration en « salle de classe » ou en amphithéâtre existe pour faciliter la transmission d’un contenu identique à un groupe important d’apprenant tout en facilitant vision et écoute. Ce format a évolué vers la U, première innovation dans les configurations, mais qui conserve cependant la centralité de la place du formateur, et ajoute par contre, de possibles interactions visuelles entre les apprenants. L’évolution contemporaine vers les co-productions se traduit par l’organisation de l’espace en cercles ou ilots de travail qui permettent la circulation de l’intervenant et sa mobilité en fonction des séquences d’apprentissage.
L’innovation n’est cependant pas dans la stabilisation de la configuration en ilots, mais dans la réadaptation de la configuration en fonction des usages et des intentions pédagogiques. C’est ainsi que les chaises et tables à roulettes permettent une reconfiguration rapide et fluide, pour passer de temps collaboratifs (ilots) à des temps transmissifs (chaises alignées). Nous avons ainsi constaté des incohérences entre l’organisation de l’espace et son usage : des lieux de formation achètent des meubles modulables, séduits par le design et la modernité, mais conservent des pédagogies transmissives dans des espaces réduits, gênés par ces chaises encombrantes. C’est l’usage pédagogique qui doit guider le design de l’espace.
Des meubles qui facilitent le mouvement et les interactions
Les mobiliers sont caractérisés, dans ces espaces nouveaux, par leur mobilité et leur flexibilité ; l’objectif est de pouvoir modifier de façon fluide l’espace en fonction du mode de production et de raisonnement que je souhaite induire. Des fabricants de meubles comme Steelcase (2015) ont été les pionniers sur la question, s’entourant de pédagogues et de sociologues pour designer des espaces actifs d’apprentissage. Le micro-mouvement (me tourner facilement vers l’autre) quand il est facilité, va faciliter l’apprentissage. Quand je suis assis par exemple sur une chaise à roulettes et que je m’adresse à mon voisin, mon corps suivra naturellement mon intention, alors que m’adresser à mon voisin sur une chaise immobile va contrecarrer mon intention et ralentir mon geste intellectuel. De même, le macro-mouvement, me lever et me déplacer dans l’espace pour produire sur un mur, renforce mon activité, mon implication et mon raisonnement. Ainsi, si des tableaux collaboratifs permettent facilement la production et les traces, je vais renforcer l’apprentissage. Encore faut-il que les pédagogies que je veux susciter soient actives et sollicitent le micro et le macro mouvement…
Pourquoi reconfigurer les espaces ?
Les meubles, dans des configurations, vont ainsi accompagner les usages : les configurations de type « mange debout » permettent d’être debout, plus mobiles, plus réactifs et seront adaptées à des discussions de groupe rapides comme on peut les promouvoir dans les world café ; les murs de productions et de trace vont favoriser la production collective, ils seront surtout utilisés pour inviter à des traces évolutives et des productions plus originales que les listes à puce. La production sur le mur permet aussi la mise en avant d’autres espaces de production que l’espace du tableau habituellement réservé au formateur. Cette production sera accompagnée d’une visite et d’une analyse dans le scenario pédagogique. De la même manière, suspendre les productions au plafond permet un autre type de visite. Les tableaux qui permettent d’écrire, varient eux aussi de taille et d’emplacement : les groupes de productions demandent un espace d’écriture qui dépasse la simple feuille A 4, sans pour autant souhaiter l’espace du mur : apparaissent alors les petits tableaux Velleda, de taille intermédiaire ou les écrans partagés. Les participants écrivent sur le petit tableau pour discuter leur production ou se transmettent la connectique pour projeter sur un écran commun. Certaines tables se dotent de Velleda sur leur surface et peuvent servir de tableau[4] ou s’incliner pour partager les productions.
Comment construire l’espace : préconstruit ou à fonctionnaliser ?
Deux grands courants cohabitent aujourd’hui : des espaces d’apprentissage sont préconstruits et des espaces vides à fonctionnaliser en fonction des usages.
Les espaces préconstruits
Des initiatives en contexte scolaire (comme la Future Classroom Lab ou le projet Archiclasse) ou dans les lieux proposés en séminaire d’entreprise (Openmindkfé) se proposent de structurer a priori les espaces pour que les usages, zones par zones, soient induits. Ainsi chaque zone peut faciliter une activité (investiguer, créer, échanger, développer, présenter des productions avec une caméra par ex.., travailler seul ou en groupe) et favoriser le développement de compétences (pensée critique, usages du numérique, collaborer et communiquer), développant ainsi les compétences du futur. Les espaces sont indiqués soit par des couleurs, soit par des pictogrammes. L’avantage de ce type de configuration est de proposer un déjà là, potentiellement inspirant et préconstruit sur des intentions pédagogiques ; l’inconvénient est d’avoir pré-structuré les usages, laissant moins de marge de manœuvre aux usagers de l’espace.
Des espaces à fonctionnaliser
A l’opposé, apparait un courant qui vise à produire de vastes espaces, équipés de numériques, dans lesquels les meubles sont disponibles, rangés, les chaises entassées et les tables pliables. Le geste pédagogique consiste alors à installer l’espace de façon fluide et rapide en fonction des usages anticipés et, un peu comme un décor de théâtre sur un plateau. L’inconvénient de cela est de nécessiter une bonne scénarisation pédagogique et un changement rapide des espaces. Cela implique aussi des meubles robustes et faciles à déplacer.
Un entre deux : exemple concret
Dans la réponse à un projet architectural qui vise à concevoir et construire le nouveau bâtiment numérique d’ISAE Supaéro à Toulouse, AGO a été sollicité par le cabinet Séquences pour concevoir la dimension espace apprenants. La commande impliquait des « espaces reconfigurables à souhait et qui bénéficieront des dernières technologies numériques» [5] Nous avons veillé à ce que les espace soient en même temps repérés pour leur usage majeur, et qu’à l’échelle d’ISAE, les enseignants disposent d’une diversité d’espaces à leur disposition avec des spécificités repérable : les amphithéâtres sont dédiés aux temps transmissifs mais les sièges pivotent pour le collaboratif, les salles de langue peuvent être transformées en espace informatique, les salles actives d’apprentissage sont dédiées aux travaux collaboratifs, mais peuvent accueillir des temps transmissifs de façon confortable.
Nous avons aussi rendu les espaces capables, compte tenu de leur transformation possible dans le temps, en anticipant une éventuelle évolution des pratiques en construisant des plateaux évolutifs ….
Zoom sur les espaces universitaires en mutation
Les amphithéâtres
Les amphithéâtres sont aujourd’hui les plus impactés par les changements de pratiques pédagogiques. Ils conservent leur fonction transmissive mais intègrent trois changement majeurs : l’usage du numérique dans un présentiel amplifié, l’intégration de sessions à distance et l’interactivité possible par les modifications de l’organisation des espaces ; du point de vue numérique la qualité de la transmission par les équipements en écrans de projection est majeure quelle que soit la place dans la salle, la disposition de la wifi pour pouvoir accéder simultanément à des documents partagés, et la qualité proposée du son et du traitement de l’acoustique. L’équipement en prise et prises USB doit être pensé pour faciliter la consultation de documents numériques pendant les sessions et faciliter le travail collaboratif.
Les salles d’apprentissage actif
Ce sont des salles collaboratives équipées, pensées pour être facilement reconfigurables permettre les travaux en sous-groupes et les apports alternés des enseignants : elles comprennent des écrans par sous-groupe, des tables en configuration ilots qui ont facilement accès aux branchements. L’implantation des écrans en périphérie est souvent faite sur des murs aveugles ou occultables pour limiter la réverbération de la lumière sur les écrans, des tableaux de production d’écrit sont imaginés par sous-groupe (en Velleda ou verre). Un système de diffusion grand format est prévu pour la transmission de l’enseignant.
Au-delà de la salle de formation, la question du numérique vient d’amplifier cette réflexion
Le développement des outils numériques et des toutes les technologies mises en œuvre dans les lieux de formation est un fait. L’équipement électronique est un élément essentiel de la réflexion : il faut à la fois équiper les lieux pour les usages actuels mais aussi envisager les usages de demain et permettre une reconfiguration facile pour de nouveaux usages numériques.
On trouve encore et toujours une salle de formation dans les bâtiments, mais elle correspond finalement à un modèle de l’enseignement en disparition, basé sur ce cours magistral qui se fait en simultané auprès d’un seul groupe d’élèves, sorte de tragédie grecque dont l’unité de temps, de lieu et d’activité est encore respectée.
La réalité virtuelle pour permet à l’espace de passer dans une autre dimension
Alors que tout projet de transformation spatiale fait souvent l’objet d’une approche financière drastique, l’arrivée progressive de la réalité virtuelle dans les pratiques pédagogiques apporte une solution nouvelle au ratio espace – coût- intérêt pédagogique.
Cette nouvelle technologie permet de proposer dans un espace dédié différentes situations de travail dans lesquels l’apprenant sera immergé. La force de la réalité virtuelle est de pouvoir contextualiser des environnements divers se rapportant aux problématiques quotidiennes de chantiers ou d’ateliers. À titre d’exemple : pourquoi construire un mur en béton armé avec une baie libre pour mettre un apprenant en situation de poser une fenêtre alors que cette situation peut être contextualisée tout en apportant bon nombre d’options possibles grâce à la réalité virtuelle. Dans le cas présent, on peut intégrer différents supports (bois, parpaing, bêton, briques…) ou bien encore simuler différentes méthodes de pose (en applique, en feuillure, en tunnel) et tout cela dans un même espace au service de l’apprenant. Même si cette technologie demande un investissement financier au départ (achat d’un casque, d’un moniteur adapté et mise à disposition d’un espace de minimum 6m²), il peut être rapidement amorti mais également être proposé à différents clients (apprentis en formation initiale ou salariés d’entreprise ayant besoin d’une formation spécifique). L’intérêt pédagogique est de pouvoir responsabiliser l’utilisation (choix, prise de décision, mise en œuvre, contrôle) sans aucun risque pour santé et sa sécurité au travail et surtout sans aucun coût de matériels et matériaux.
C’est dans cet optique que le CCCA-BTP pilote actuellement un projet collaboratif ayant pour objectif de construire des modules de formation en réalité virtuelle dans plusieurs filières du BTP. Ces supports de formation seront mis à disposition des CFA BTP à partir de décembre 2019 sur la plateforme LMS du réseau, APTYCE. Afin de garantir la réussite de ce projet, tous les scénarii pédagogiques ont été élaborés par des formateurs métiers experts afin de valider l’intérêt de chaque module. Il conviendra maintenant d’accompagner les formateurs à l’acculturation de cette nouvelle technologie en leur démontrant tout l’intérêt pédagogique qu’ils auront à l’utiliser dans leurs pratiques usuelles.
Sortir de l’espace intérieur vers les espaces informels et de convivialité
De plus sur la notion d’espace d’apprentissage résumé à l’établissement peut être réductrice puisque l’environnement numérique de travail est accessible depuis l’extérieur et que, de plus en plus, nous avons une articulation des apprentissages qui se fait par une combinaison entre la présence et la distance.
Si l’enseignement n’est pas confiné à des salles de classe, l’établissement dans son ensemble, partout et tout le temps, est potentiellement un espace effectif d’apprentissage.
Le nomadisme des pratiques contemporains d’apprentissage fait que les lieux informels qui étaient jusque-là des lieux de passage ou de transition (couloirs, escaliers, halls) deviennent spontanément des lieux d’apprentissage autogérés. Ainsi, se préoccuper du confort, du bien-être perçu dans ces espaces, permet d’en inspirer un autre usage et d’en faire des espaces d’apprentissage à part entière : un grand escalier comme un lieu vaste, avec des marches et des plateaux, sur lequel on peut s’asseoir et échanger, des couloirs élargis pour accueillir des niches de travail collaboratif, l’installation des prises au sol et en quantité suffisante pour un usage fluide, la présence en continu de la wifi, des espaces muraux qui permettent l’écriture.
Les espaces de convivialité sont en connexion avec les espaces dédiés d’apprentissage pour renforcer la possible capabilité des lieux : démarrer un temps d’apprentissage en amphithéâtre, poursuivre la réflexion en sous-groupes dans l‘espace convivial devant l’amphi et finir en petits groupes dans une niche –couloir, par exemple. La convivialité peut être aussi traitée par les choix faits sur la lumière : quand il existe des passerelles qui relient les bâtiments, elles peuvent être couvertes mais extérieures, et assez larges, pour avoir aussi une fonction terrasse. Le végétal contribue au bien-être et peut exister dans les espaces d’apprentissage par des murs végétaux par exemple …. Des espaces informels comme des halls sont conçus pour permettre l’installation plus organisée de lieux de convivialité : espace de détente et de prise de boissons ou se transforment en atelier, en salle d’exposition, si nécessaire …
Les zones de transition et les lieux de rassemblement sont traités pour faciliter les déplacements fluides et l’interconnexion entre les bâtiments et les espaces externes. Peuvent ainsi cohabiter le fonctionnel et l’agréable. Les vitrages peuvent donner à voir ce qui se passe dans les divers espaces d’apprentissage. Les espaces extérieurs peuvent être pensés avec cette même préoccupation d’usage et être traités en continuité avec les espaces intérieurs pour répondre à l’usage : des parvis ouverts et accueillent largement les circulations ; l’accès et le rangement des vélos prévus …
Comment accompagner les formateurs à la mutation des espaces ?
La question de la mutation des espaces renvoie directement à la capacité des formateurs à les prolonger ou à les initier : comment engager les acteurs dans ce changement ?
Nous pouvons imaginer la conception d’un espace innovant de deux façons : soit le construire comme une réponse adaptée à des besoins, soit créer le besoin par le changement de pratiques soit le penser d’abord puis inviter les usagers à s’en saisir … souvent la combinaison des trois est nécessaire.
Des pistes d’action pour accompagner ce changement de paradigme
Partir des usages pour décider des espaces
Quand on construit un espace adapté aux besoins, l’observation des pratiques peut fournir des indices sur les besoins : est-ce que les apprenants sont amenés à travailler en groupe, quelle est la taille de ces petits groupes, est-ce qu’ils ont tendance à déplacer les chaises et les tables, est-ce qu’il y aura besoin d’un tableau de production au sein du petit groupe, d’une projection d’écran partagé ? Les usages naturels que font les apprenants sont alors des sources d’innovation sur la création des espaces.
Cette démarche de création de l’espace va gagner à être étayée par une observation des usages ou par une enquête en retour des usagers. Nous avons par exemple choisi, dans le cadre du projet innovant « Transform CRAF en learning lab » qu’AGO accompagne, porté par Le CCCA-BTP et le CRAF du CFA BTP de Blois dans une démarche expérimentale, de monter deux focus groupe d’usagers : celui des enseignants, interrogés par les responsables pédagogiques et celui des apprenants interrogés par les responsables de CRAF pour croiser et combiner leur représentation de l’usage qu’ils font et souhaitait faire de l’espace. Cette analyse des usages actuels et souhaités a été combinée à une évolution des ingénieries et nous conduit à un premier maquettage en 3D du CRAF de demain.
Former d’abord aux usages.
Former aux pédagogies actives pour inciter pour générer l’envie de nouveaux espaces est une autre démarche qui incite les formateurs à installer de nouvelles méthodes pédagogiques dans leur espace de travail habituel, les conduisant de fait, à un autre usage des espaces. En effet, le besoin nouveau de déplacement, d’affichage, de prise d’un d’espace de plus grande amplitude, va générer le désir des acteurs de modifier leur usage de l’espace[6]. Nous mettons pour cela en place un travail d’appropriation en 3 temps : nouveaux usages- maquettage de l’espace rêvé- pour finir par installer les changements réels.
Faire explorer les espaces créés
Une autre démarche est de créer des situations de découverte et d’expérimentation dans un espace nouvellement aménagé. Les formateurs sont incités à explorer les possibilités du nouvel espace. L’idée est de laisser émerger les pratiques dans un environnement qui sera inspirant et facilitant. Cependant, mettre à disposition ne suffira pas : on a pu constater par exemple à l’installation de tableaux blancs interactifs dans les salles, son remplacement clandestin par des tableaux papier et la remise agacée et systématique en format salle de classe de chaises à roulettes qui avait été achetées pour favoriser la modularité de l’espace. Des aller-retours entre l’expérimentation, l’analyse des pratiques, les échanges sur les possibilités nouvelles que propose l’espace contribueront à son adoption. Il y a sinon un risque d’injonction à l’innovation !
Ces démarches vont impliquer que l’espace n’est pas figé, qu’il est modifiable, réaménageable ce qui va nécessiter une réflexion sur le cahier des charges au moment des investissements. Je prends pour exemple un CFA qui a souhaité qu’aucun mur porteur ne soit au centre des volumes de façon à pouvoir faire des reconfigurations du bâti même, en fonction de l’évolution des usages dans les années à venir. À une échelle moindre, sans reconstruction du bâti, une expérimentation en mode projet qui laisse les acteurs faire des propositions et qui les intègre dans la forme du dispositif, favorisera cette adoption de l’espace. Ceci renvoie à l’ingéniosité des concepteurs de l’espace pédagogique qui gagnent à ne pas rester solitaires quand ils sont techniciens ou architectes ; la plus-value des pédagogues et de l’ingénierie pédagogique qu’ils apportent se situera exactement au croisement des espaces et des pratiques.
Il s’agira finalement d’anticiper l’usage des lieux pour y accueillir des pédagogies actives et interactives au numérique bien intégré, et de créer ainsi un autre design spatio-temporel dans un espace devenu fluide. Cela implique de faire confiance à l’apprenant, de faciliter ses initiatives et ses circulations dans un temps et un espace d’apprentissage devenus poreux.
Bibliographie
S. New, R.Traduction de Robert Elbaz, (2013) Les écoles, espaces intentionnels pour l’enfance – Le cas de Reggio Emilia en Italie, in revue Internationale d’éducation de Sèvres, n ° 64, dossier : les espaces scolaires. https://journals.openedition.org/ries/3601, p. 41-52
Brown, M.; Long, P. (2006). Trends in Learning Space Design. Washington : Educause
Carré, P. 2005. L’apprenance, vers un nouveau rapport au savoir. Paris : Dunod
Carré, P. 2010, Chapitre 3. L’autodirection des apprentissages, dans L’autoformation pages 117 à 169, Paris : PUF
Toscani. , P. ( 2012) Apprendre avec les neurosciences : Rien ne se joue avant 6 ans. Paris : chroniques sociales
UNESCO (2012) : TIC UNESCO: un référentiel de compétences pour les enseignants
CI-2011/WS/5- ISBN : 978-92-3-001054-6- Collation :107 p. Rapport
Oblinger, Diana G. (dir.) 2006. « Space as a change agent ». In Learning Spaces. Washington : Educause
STEELCASE (2015) Les espaces d’apprentissage actif. Document broché.
https://www.steelcase.com/content/uploads/sites/11/2018/08/15-E0000247_FR-1.pdf
Ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (2015), Guide Campus d’avenir 2015 : Concevoir des espaces de formation à l’heure du numérique – Brochure – 1ère publication : 18.03.2015 – Mise à jour : 19.05.2015- http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid87012/guide-campus-d-avenir-2015-concevoir-des-espaces-de-formation-a-l-heure-du-numerique.html
Fonctionnement de la future Classroom : https://youtu.be/6iAjc4VdVPE
Archi classe https://archiclasse.education.fr/#phases
[1] L’action de formation est définie comme un « parcours pédagogique permettant d’atteindre un but professionnel »
[2] Décret 21 décembre 2018- Art. L 6313-1 du code du travail-attendu de décret de précision en 2020
[3] Une vigilance est à avoir sur le risque de distractif dans le ludique (jouer pour jouer) et le risque de comportementalisme dans la gamification (jouer pour avoir des badges)
[4] Voir la table la remarquable (jeu de mot !) créée par OKONI – https://shop.okoni.fr/index.php/produit/table-demi-hexagonale/
[5] https://centraledesmarches.com/marches-publics/Toulouse-cedex-4-ISAE-SUPAERO-Marche-de-maitrise-d-oeuvre-pour-la-construction-d-un-batiment-numerique-sur-le-campus-ISAE-SUPAERO/4690438
[6] C’est la démarche que nous avons initiée dans le cadre de AGO pour le centre éducatif thérapeutique du CH de Gonesse qui se demandait « comment décorer ses bâtiments neufs » pour mieux accompagner le patient.
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